Elle est rapide, brillante, jamais fatiguée. Depuis sa création le 30 novembre 2022 par OpenAI, l’application dénommée ChatGPT (intelligence artificielle), ne cesse de conquérir les salles de classe en douce. Véritable béquille pour les élèves et étudiants, elle facilite les devoirs, les dissertations, les exposés et même la rédaction des mémoires et projets de soutenance des étudiants.
Capable de rédiger, traduire ou résumer un texte en quelques secondes, le célèbre ChatGPT séduit de plus en plus tout en suscitant de vives inquiétudes sur ses dérives.
Mais à force de copier-coller, certains oublient de réfléchir. Paresse intellectuelle, perte d’autonomie, triche invisible : l’école sénégalaise est-elle prête pour cette révolution silencieuse ? (Reportage).
Elle rédige, résume et corrige en quelques secondes. ChatGPT s’est installée discrètement dans les collèges, lycées et universités. Pour certains élèves, c’est un allié précieux ; pour d’autres, une béquille qui remplace l’effort.
Rencontrée dans la cour du lycée de Ouakam, cette jeune fille en classe de Terminale a préféré s’exprimer sur le sujet sous couvert de l’anonymat.
« Bien sûr que je connais l’application ChatGPT. C’est une amie, mon alliée de tous les temps. À chaque fois que je la sollicite, elle répond. C’est mon compagnon de tous les jours. Je ne peux plus m’en passer. Maintenant, tous mes camarades l’utilisent. Depuis que je la connais, je n’ouvre même plus mes cahiers et j’obtiens de bonnes notes. On fait tous appel à elle pour les exercices et devoirs. C’est une arme secrète qui nous permet d’apprendre sans se fatiguer. Je tape le sujet, je demande les réponses discrètement, je copie-colle, je change une ou deux phrases et c’est bon. Les profs croient que j’ai travaillé alors que tout vient de ChatGPT », confie-t-elle sans gêne.
Au collège de Ouakam, certains élèves l’adoptent dès la classe de sixième. Ce jeune garçon, lui aussi préfère se prononcer sur le sujet sans dévoiler son identité. « Ça m’aide pour mes devoirs et exposés. Maintenant tous mes camarades l’utilisent. Dès que tu demandes, il formule de belles phrases, les assemble parfaitement et te sert le tout sur un plateau. On n’a plus de temps à perdre dans les réflexions. ChatGPT est plus efficace que Google et Wikipédia. C’est devenu notre prof préféré. Il enseigne vite fait et bien fait », raconte-t-il.
L’université aussi touchée
Les étudiants ne sont pas en reste.
Ibrahima Diop, étudiant en licence 3 dans une école de formation, avoue l’utiliser pour préparer son projet de soutenance.
« C’est comme une béquille permanente. Je sais que ça m’empêche de réfléchir pleinement, mais ça m’aide beaucoup. Ça permet d’avancer sans perdre de temps à réfléchir. On est un groupe de trois et nous avons tous misé sur ChatGPT. Il nous a tout donné : l’idée du projet, la stratégie de communication, la rédaction. C’est un produit fini. Il nous a même expliqué comment nous organiser pour défendre notre projet devant le jury. Il nous a facilité les choses », explique-t-il avec franchise.
Ces témoignages traduisent une tendance massive. Le ChatGPT devient une aubaine pour la triche. De nombreux élèves l’utilisent pour éviter l’effort intellectuel, contourner les révisions ou remplir un devoir maison.
Des usages responsables : apprendre avec l’IA, pas à sa place
Tous les élèves ne sombrent pas dans la facilité. Marième Diagne, élève en Première S1 au lycée John Fitzgerald Kennedy, est consciente des dangers.
« Oui je connais ChatGPT, mais je m’en sers uniquement pour comprendre mes cours ou faire des recherches. Quand un texte est compliqué, je demande une explication. Mais je fais toujours mes devoirs moi-même. Beaucoup de camarades l’utilisent pour tricher mais je refuse. Ça rend paresseux et ça me fait mal de voir ceux qui travaillent dur avoir de moins bonnes notes que ceux qui utilisent ChatGPT. Les profs doivent creuser pour discerner ce qui vient de l’élève et ce qui vient de l’IA », livre-t-elle.
Ces usages responsables montrent que ChatGPT peut devenir un outil pédagogique à condition d’être encadré.
Les enseignants tirent la sonnette d’alarme
Contactée dans le cadre du sujet, Mme Ndiaye, professeure de français au lycée de Zone recasement de Keur Massar, revient sur les dangers d’un usage abusif.
« ChatGPT rend les élèves paresseux et contribue à la baisse du niveau. Ils copient et collent sans réfléchir. Derrière les copies parfaites se cache souvent un vide intellectuel : moins de lecture, moins de mémorisation, difficultés à argumenter à l’oral. Nous, professeurs 2.0 détectons vite les textes générés par l’IA mais ce n’est pas évident pour tout le monde. Interdire l’IA est impossible, mais il faut encadrer son usage. Former les enseignants aussi. Certains élèves humanisent les textes générés, et là ça devient difficile de repérer. »
D’après les constats faits dans quatre écoles visitées, 7 élèves sur 10 ont déjà utilisé une IA générative pour un devoir. Les signaux d’alerte se multiplient.
Pour M. Fall, professeur de philosophie au lycée de Ouakam, le « ChatGPT n’est pas l’ennemi ». Il estime que la pédagogie doit évoluer.
« ChatGPT n’est ni bon ni mauvais. C’est notre manière de l’utiliser qui fait la différence. Moi aussi je l’utilise pour me documenter. Le problème, c’est que les élèves s’en servent pour tricher. Sur 10 élèves, 8 l’utilisent pour tricher. L’école doit évoluer. L’IA doit être une opportunité d’apprentissage, pas une échappatoire à l’effort. »
L’école à l’épreuve du savoir instantané
L’application ChatGPT offre des opportunités inédites pour l’éducation.
Mais il révèle aussi une fragilité : l’effort, la réflexion et l’autonomie ne sont plus toujours valorisés.
Sans encadrement, ces outils deviennent des béquilles mentales favorisant la paresse et affaiblissant l’esprit critique.
La question n’est pas de diaboliser l’IA, mais de repenser la pédagogie, d’encadrer son usage, de former les élèves à s’en servir intelligemment, de créer des exercices stimulant la réflexion et d’accompagner les enseignants dans la transition numérique.
Pour que ces outils deviennent des alliés et non des raccourcis, l’école doit donc redéfinir sa place dans un monde où le savoir est désormais à portée de clic.







