Au Sénégal comme dans le reste du monde, la résistance aux antimicrobiens (RAM) s’impose comme une crise sanitaire majeure. Elle met en péril des décennies de progrès médicaux. Entre abus d’antibiotiques, diagnostics insuffisants et vulnérabilité des systèmes de santé, les experts tirent la sonnette d’alarme. Médecin commandant et microbiologiste à l’Hôpital Principal de Dakar, docteur Maguette Ndoye rappelle que l’antibiorésistance n’est pas nouvelle. Les micro-organismes, en compétition permanent pour survivre, développent naturellement des mécanismes de résistance qu’ils peuvent partager entre eux. Mais dit-elle : « ce phénomène s’est considérablement aggravé avec l’usage massif et parfois inapproprié des antibiotiques. « Les antibiotiques ont réduit la mortalité liée aux infections bactériennes. Mais leur succès même a favorisé l’émergence de résistances », explique-t-elle. Elle insiste : « prendre un antibiotique pour une infection virale comme la grippe peut être dangereux, car cela élimine les bactéries protectrices et prépare le terrain à des infections plus sévères. Ceci fait que « des bactéries autrefois faciles à traiter deviennent de véritables menaces ».
Un danger mondial : jusqu’à 10 millions de morts par an d’ici 2050
Selon le Pr Khadidiatou Ba Fall, infectiologue, la RAM est déjà responsable de 1,2 million de décès en 2019, un chiffre supérieur à ceux du VIH/Sida et du paludisme. Sans action urgente, elle pourrait causer 10 millions de morts par an d’ici 2050, soit un décès toutes les trois secondes. Les causes sont multiples. Il s’agit entre autres des prescriptions inutiles en médecine humaine, usage massif d’antibiotiques en élevage, contamination environnementale, absence de tests diagnostiques rapides et circulation de faux médicaments. « La médecine moderne est en danger : greffes, chimiothérapie, soins néonataux, traitements de la tuberculose ou de la pneumonie deviendront extrêmement risqués sans antimicrobiens efficaces », avertit Pr Ba.
Un tournant critique pour l’Afrique
La Pr Ndèye Marie Dia Badiane, souligne que l’Afrique fait face à une double menace : Les maladies infectieuses persistent tandis que les maladies non transmissibles progressent. Dans ce contexte, la RAM complique encore davantage la prise en charge et multiplie les décès évitables. Elle rappelle que le congrès offre une occasion cruciale de mobiliser chercheurs, cliniciens et décideurs autour de la recherche, de la formation et de l’amélioration des soins. A noter qu’au Sénégal, 40 % des prescriptions médicales contiennent un antibiotique. « Au Sénégal, la situation est particulièrement préoccupante » selon l’infectiologue Dr Sadikh Badiane, quatre prescriptions médicales sur dix incluent un antibiotique, souvent de manière injustifiée. L’automédication, la vente libre, la prolifération de faux médicaments et l’usage vétérinaire non contrôlé aggravent encore la résistance.
« Beaucoup de patients arrivent déjà à l’hôpital avec une résistance installée », déplore-t-il.Les conséquences sont lourdes ; infections difficiles à traiter, décès évitables, allongement des hospitalisations, augmentation des coûts, pression accrue sur un système de santé fragile.
La réponse du Sénégal : renforcer les laboratoires et promouvoir le bon usage
Conscient de l’ampleur de la menace, l’État sénégalais intensifie ses efforts. Dr Samba Cor Sarr, directeur de cabinet du ministre de la Santé, rappelle que la lutte contre la RAM est désormais intégrée à la politique sanitaire nationale dans une approche One Health, liant santé humaine, santé animale et environnement.
Il cite plusieurs initiatives en cours, renforcement des diagnostics, accréditation des laboratoires, amélioration de l’hygiène hospitalière, promotion de la recherche appliquée, mise en œuvre du Plan spécial de développement des laboratoires 2024-2028, aligné sur la Vision Sénégal 2050. L’Hôpital Principal de Dakar, pionnier en la matière, a créé la première équipe mobile d’antibiothérapie francophone en Afrique, dédiée à promouvoir le bon usage des antibiotiques et à soutenir les prescripteurs dans les services.
Un impératif collectif : changer les pratiques
La résistance aux antimicrobiens est un danger immédiat. Raviver l’efficacité des antibiotiques exige une mobilisation de tous, professionnels de santé, pharmaciens, vétérinaires, autorités locales, milieux agricoles, citoyens. Comme le souligne le secrétaire général du ministère, Serigne Mbaye, « la lutte contre la RAM n’est pas seulement l’affaire du ministère. Chaque acteur doit prendre sa part de responsabilité ». Par ailleurs, les acteurs travaillent pour éviter le retour à l’ère pré-antibiotique. En effet, si rien n’est fait, des infections aujourd’hui bénignes redeviendront mortelles. Le Sénégal, à l’instar des autres pays, doit poursuivre ses efforts pour contrôler l’usage des antimicrobiens, renforcer ses laboratoires, surveiller les bactéries résistantes et prévenir les infections. « Préserver l’efficacité des antibiotiques n’est pas un luxe. C’est une nécessité vitale pour garantir l’avenir de la médecine moderne » a conclut le docteur Ndoye.








